Un exécutif resserré dans l’intention, élargi dans l’arithmétique politique : le gouvernement Lecornu II a été dévoilé dimanche 12 octobre au soir, au terme d’un week-end de tractations et d’allers-retours entre l’Élysée et Matignon. Trente-cinq membres (ministres et ministres délégués) composent cette équipe, mélange assumé de continuité et de nouveaux profils, avec un objectif affiché : arrêter un budget d’ici au 31 décembre et stabiliser une majorité introuvable.
Les postes clés qui redessinent l’exécutif
- Intérieur : Laurent Nuñez succède à Bruno Retailleau. Ancien patron de la préfecture de police de Paris, organisateur de la sécurité des JO et rompu aux crises, il prend les rênes de Beauvau dans un contexte d’hyper-sensibilité sécuritaire.
- Économie et Finances : Roland Lescure est reconduit et devient l’un des pivots de la trajectoire budgétaire 2026, sous contrainte de déficit.
- Travail/Santé/Solidarités : Catherine Vautrin fait son entrée à un portefeuille social XXL, signe que emploi, hôpital et protection sociale seront centraux dans l’arbitrage budgétaire.
- Justice : Gérald Darmanin migre à la Chancellerie, déplacement politique fort après des années passées à l’Intérieur.
- Transports : Philippe Tabarot, Industrie : Sébastien Martin, Logement : Vincent Jeanbrun, Agriculture : Annie Genevard, Culture : Rachida Dati : autant de profils de droite modérée/LR qui matérialisent l’ouverture — au prix d’une cassure avec le parti Les Républicains.
« Il y a une volonté d’avoir pour la France un budget avant le 31 décembre », a martelé Sébastien Lecornu, qui revendique une « volonté partagée » issue de ses consultations à Matignon.
« Nommé ministre de l’Intérieur, c’est une responsabilité qui honore », a réagi Laurent Nuñez, « homme de terrain » selon ses soutiens.
Une majorité toujours introuvable, des motions de censure annoncées
À peine nommée, l’équipe Lecornu II se heurte à un tir croisé :
- Le Rassemblement national annonce une motion de censure dès lundi et réclame la dissolution.
- La France insoumise prépare sa propre censure.
- Le Parti socialiste se pose en faiseur de rois : pas de censure « par principe », mais des lignes rouges sur le budget (justice sociale, méthodes parlementaires). « Nous nous dirigeons tout droit vers la censure si la donne ne change pas », prévient Olivier Faure.
- Les Républicains tranchent dans le vif : exclusion des six ministres LR entrés au gouvernement (Agriculture, Culture, Logement, Transports, Industrie, Francophonie), alimentant l’idée d’un centre élargi mais politiquement instable.
Le test budgétaire : 70 jours pour « tenir la ligne »
Cap sur un projet de loi de finances qui doit à la fois réduire le déficit et acheter des soutiens dans un Parlement fragmenté :
- Cap budgétaire : l’exécutif vise un atterrissage du déficit 2026 autour de 4,7–5 % du PIB, trajectoire jugée ambitieuse par l’opposition et scrutée par les marchés.
- Méthode : pas de 49.3 « par défaut », promet Lecornu, qui veut négocier texte par texte, au prix d’amendements ciblés (pouvoir d’achat, hôpital, territoires).
- Points durs déjà sur la table : pensions, assurance maladie, fiscalité « ciblée », investissements de souveraineté (défense, industrie, énergie) et logement.
Les équilibres politiques — et leurs contradictions
- Ouverture à droite assumée (plusieurs ministres LR ou ex-LR), tout en nécessitant des relais à gauche pour franchir l’obstacle budgétaire.
- Signal sécurité avec Nuñez à l’Intérieur, alors que Darmanin bascule à la Justice : tandem inédit, qui sera observé sur l’ordre public et la réponse pénale.
- Pôle social densifié avec Vautrin : message aux territoires et au monde du travail.
- Économie/Finances stabilisée avec Lescure : gage donné aux partenaires économiques et à Bruxelles.
- Risque : une géométrie variable des majorités, qui expose chaque texte à la censure et rend chaque arbitrage explosif.
Ce qu’il faut surveiller cette semaine
- Dépôt du budget et premières réactions ligne par ligne (santé, retraites, fiscalité).
- Calendrier des motions de censure : combien de voix au-delà de la gauche radicale ?
- Cohésion interne : solidité du couple Intérieur/Justice ; articulation Travail/Santé.
- Relations avec LR après les exclusions ; position PS (soutien conditionné ou rupture).
- Premiers signaux sociaux (hôpital, salaires, énergie, logement) et réponse gouvernementale.
Fabien Roussel (PCF) prévient : « S’il le faut, nous appuierons sur le bouton de la censure ».
Marine Le Pen réclame « la dissolution au plus vite pour redonner la parole au peuple ».
Olivier Faure laisse une porte entrouverte mais conditionne tout soutien à des garanties sociales et démocratiques.
À retenir : Lecornu II se veut pragmatique, comptable d’un compromis budgétaire introuvable depuis des mois. Sa survie dépend de deux équations : tenir le déficit sans casser l’adhésion déjà fragile — et fabriquer, à chaque texte, des majorités de projet.
Rédaction Blue Radio (France) / Service Politique