Paris — Dans sa déclaration de politique générale ce mardi 14 octobre 2025, le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé la suspension de la réforme des retraites de 2023 — celle qui portait progressivement l’âge légal de 62 à 64 ans et allongeait la durée de cotisation — jusqu’à l’élection présidentielle de 2027. Objectif assumé : desserrer l’étau politique autour d’un budget 2026 sous haute tension et éviter une coalition hétéroclite de l’opposition autour d’une motion de censure.
Ce qui change concrètement. Le gouvernement enclenche un gel immédiat de la trajectoire d’âge et de trimestres : l’âge légal reste figé à 62 ans et 9 mois et le seuil de 170 trimestres demeure en l’état pendant la période de suspension. Le “redémarrage” de la réforme devra, le cas échéant, être revu par le Parlement après 2027. Lecornu a par ailleurs acté qu’aucun nouvel allongement n’interviendra d’ici là, ouvrant la voie à un compromis parlementaire autour du budget.
Un pari chiffré. À Bercy, on chiffre le coût de cette suspension à environ 0,4 milliard d’euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027. Lecornu a martelé que ces montants devront être compensés par des économies pour tenir l’objectif de réduction du déficit et maintenir la crédibilité budgétaire du pays. « Nous n’esquiverons pas l’effort », a-t-il insisté devant les députés, en écartant un recours automatique au 49.3 sur le projet de loi de finances.
Pourquoi maintenant. Dans une Assemblée fragmentée depuis les législatives anticipées de 2024, la majorité relative cherche des points d’appui à gauche. Le Parti socialiste, qui conditionnait son absence de vote de censure à une suspension immédiate et complète, obtient une concession majeure du gouvernement. En miroir, la droite de la majorité présidentielle et une partie du patronat redoutent un signal brouillé en matière de soutenabilité des retraites.
Réactions : entre « victoire » revendiquée et « dangereuse facilité »
- Les syndicats réformistes saluent une désescalade. La CFDT parle d’une « vraie victoire » et souligne que « aucun relèvement de l’âge n’interviendra d’ici 2027 ».
- La CGT réclame d’aller plus loin, estimant que « la suspension ne peut être qu’une étape vers l’abrogation » et appelant à poursuivre la mobilisation sociale.
- Le Parti socialiste se félicite d’un « premier pas ». Boris Vallaud y voit la reconnaissance du combat syndical et politique mené depuis 2023.
- À gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon dénonce une « temporisation » qui « revient à entériner la retraite à 64 ans après 2027 », tandis que Manuel Bompard (LFI) fustige une « suspension à durée déterminée ».
- Dans la majorité élargie, Paul Christophe (Horizons) déplore « une dangereuse facilité », y voyant un relâchement qui reportera la facture. Côté monde économique, Patrick Martin (Medef) prévient qu’« à un moment, ça se paiera ».
- À l’Élysée, la ligne reste de tenir le cap budgétaire tout en recherchant des compromis pour sécuriser le vote du budget.
Enjeux et prochaines étapes
- Budget 2026 : le gouvernement doit convaincre que le gel des paramètres n’ouvre pas une brèche dans la trajectoire de retour sous 5 % de déficit, tout en préservant le pouvoir d’achat des retraités modestes.
- Dialogue social : la suspension rouvre un espace de concertation (pénibilité, carrières longues, minima de pension). Les partenaires sociaux veulent inscrire des garanties dans la loi.
- Trajectoire post-2027 : la grande question demeure — abrogation, réécriture ou redémarrage ? Les forces politiques testeront leurs majorités dès l’hiver lors des textes d’application et des éventuels correctifs.
Repères
- Réforme 2023 (Borne) : âge légal de 62 à 64 ans à l’horizon 2030 ; durée de cotisation allongée ; mesures de pénibilité et carrières longues ajustées.
- Suspension 2025 (Lecornu) : gel à 62 ans et 9 mois / 170 trimestres jusqu’à la présidentielle 2027, avec réexamen parlementaire ultérieur.
- Ordre de grandeur budgétaire : ~0,4 Md€ (2026), ~1,8 Md€ (2027) à compenser par économies ou recettes.
Rédaction Blue Radio (France) / Service Politique