Antananarivo — Au lendemain d’un week-end de tensions extrêmes, la présidence malgache dénonce une « tentative de prise de pouvoir illégale et par la force », tandis que des sources concordantes décrivent une armée ouverte­ment divisée et des foules galvanisées par trois semaines de manifestations contre le pouvoir.

Point d’orgue de ce tourbillon : RFI affirme que le président Andry Rajoelina a été exfiltré dimanche 12 octobre par un avion militaire français. Paris, pour sa part, conteste toute intervention directe dans la crise.

Un pouvoir retranché, une armée qui bascule

Depuis le 25 septembre, un mouvement jeune et protéiforme – popularisé sous l’étiquette « Gen Z Madagascar » – a entraîné des cortèges massifs contre les coupures d’électricité et d’eau, la cherté de la vie et la corruption présumée. Samedi, l’unité d’élite CAPSAT, déjà centrale dans la prise de pouvoir de 2009, a rallié les manifestants et appelé Rajoelina à démissionner, revendiquant même la conduite des opérations de sécurité. Le ministre de la Défense a entériné un nouveau chef militaire, signe d’un basculement inédit.

Dans ce contexte, les traces publiques du chef de l’État se sont raréfiées. Lundi, la présidence a annoncé une allocution à 19 h (heure d’Antananarivo), sans dissiper les interrogations sur la localisation du président. « Une tentative de saisie du pouvoir, contraire à la Constitution, est en cours », a-t-il dénoncé la veille, alors que des officiers se sont affichés aux côtés des protestataires.

L’« exfiltration » qui embrase les réseaux

C’est un scoop de RFI qui a mis le feu aux poudres : Rajoelina aurait quitté Madagascar le 12 octobre à bord d’un appareil militaire français, dans le cadre d’un accord avec Paris. Des relais médiatiques régionaux et des collectifs de la diaspora à La Réunion évoquent un décollage d’un CASA de l’armée française depuis Sainte-Marie, et le passage d’un jet privé reparti vers Dubaï.

Côté français, des sources officielles martèlent ne pas intervenir dans la crise malgache. « Il n’y a pas d’ingérence », insistent-elles, alors que le sujet ultrasensible de l’assistance à un chef d’État étranger en difficulté nourrit spéculations et rumeurs en ligne.

La rue, les deuils, et l’économie à l’arrêt

Le bilan humain s’alourdit : au moins 22 morts et plus d’une centaine de blessés depuis le début des rassemblements, selon un comptage onusien. Le couvre-feu nocturne reste en vigueur dans plusieurs villes. Air France a suspendu ses vols Paris-Antananarivo au moins jusqu’au 13 octobre, illustrant la dégradation sécuritaire et logistique. « Notre priorité, c’est la sécurité des passagers et des équipages », indique un proche du dossier.

Dans les quartiers populaires de la capitale, les manifestants scandent « Tsy manaiky intsony » (« On n’accepte plus ») et réclament un changement profond. « Ce n’est plus seulement l’électricité : c’est l’école, l’hôpital, nos salaires », résume une étudiante aperçue près d’Analakely. Des syndicats et collectifs civiques ont rejoint la contestation, inspirés par des mobilisations au Népal et au Sri Lanka.

Paris, Antananarivo, et l’ombre longue de 2009

Le passé pèse sur le présent : le CAPSAT avait contribué à propulser Andry Rajoelina à la tête du pays en 2009. Seize ans plus tard, le même corps appelle à refuser les ordres de tirer et conteste la chaîne de commandement. « Nous ne tirerons pas sur le peuple », affirment des cadres de l’unité dans une vidéo circulant depuis samedi.

Sur le plan diplomatique, l’Union africaine appelle au calme et au respect de l’ordre constitutionnel. À Paris, où l’on se souvient de la visite d’État d’Emmanuel Macron à Antananarivo au printemps, l’exécutif mesure ses mots pour éviter toute crispation supplémentaire dans une région où l’histoire franco-malgache reste sensible.

Ce qui reste flou — et ce qui est certain

Flou, encore, sur la destination et le statut exacts du président après l’« exfiltration » rapportée par RFI. Flous, les contours institutionnels si l’armée poursuit son effet de dominos. Certain, en revanche, le niveau de défiance dans la rue, l’onde de choc économique (transport aérien, approvisionnement), et la fragilisation d’un pouvoir réélu en 2023 mais bousculé, aujourd’hui, comme jamais.

« La crise n’est pas un épisode, c’est une accumulation », souffle un économiste local. « Quiconque gouvernera demain devra répondre à la double urgence : sociale et institutionnelle. »

Rédaction Blue Radio (France) / Service Politique – International